Gloomy Eyes c’est de la magie au fond des yeux.
Directement inspiré du court-métrage VR éponyme de 3dar et Atlas V, édité par Arte France en 2020, Gloomy Eyes se présente comme un escape game narratif à l’ambiance à la fois macabre et poétique. Après le succès critique de l’aventure initiale en stop motion et en réalité virtuelle (lauréat du meilleur film VR à Annecy en 2019, notamment), Arte France, en coproduction avec Atlas V, 3dar et Be Revolution Gaming a décidé d’adapter cette histoire en jeu vidéo. Pour cela, et avec le soutien de la Wallonie et de la région Auvergne-Rhône-Alpes, les rênes ont été confiées aux belges de Fishing Cactus (Epistory, Nanotale, Shift Quantum, Algobot, Ary…). Avec le concours d’Untold Games à l’édition, la chaîne franco-allemande étoffe ainsi son catalogue vidéoludique avec un nouveau titre qui vient s’ajouter à d’autres comme To Hell with the Ugly, 30. Birds ou encore Wednesdays.
Accepter les différences
Face à la bêtise humaine, le soleil a un jour décidé de se retirer. Les ténèbres se sont alors installées et les zombies ont émergé. Le premier d’entre eux s’appellait Gloomy, un enfant à l’enterrement duquel personne n’est venu, se rappelle le fossoyeur qui l’a inhumé et nous conte son histoire. Depuis, les humains se sont réfugiés dans les villes et redoutent de se faire mordre par les nouveaux venus. Afin de sauver l’humanité, celui qui se fait appeler le Prêtre, dirige une petite armée et met en place pièges et cages dans le but de venir à bout du fléau. Mais Gloomy, avec ses yeux brillants, tels deux petits soleils, adore courir après les lucioles et aimerait avoir un ami avec qui jouer. Nena, elle, est une petite humaine qui souhaite savoir pourquoi le soleil a disparu et part à sa recherche, persuadée que les lucioles, qui sont comme de petites étoiles semblables au soleil, vont la guider. Inévitablement, les chemins de nos deux protagonistes vont se croiser et ils vont devenir les meilleurs amis du monde. Et leur amour fait naître une dernière lueur d’espoir dans ce monde mélancolique.
Mais le Prêtre, qui n’est autre que l’oncle de Nena et qui est convaincu que c’est Gloomy qui a mangé le soleil, ne l’entend pas de cette oreille. Une course-poursuite va alors s’engager entre ceux qui cherchent le soleil et ceux qui veulent mettre le petit zombie aux yeux de lumière en cage. Comme l’œuvre originale, Gloomy Eyes est un conte sur l’amitié, un plaidoyer contre la haine et la peur de la différence. S’il reprend la trame principale du film réalisé par Fernando Maldonado et Jorge Tereso, il ne calque pas tout (Perrito, le chien de Nena, n’a par exemple qu’une présence très anecdotique ici) et se permet de créer de nouvelles scènes à des fins vidéoludiques (fête foraine, école, maison de l’horreur…). C’est ainsi à travers 14 chapitres, correspondant à 14 dioramas, que l’aventure se déroule. Et si les 3 épisodes en réalité virtuelle étaient très courts, chaque scène l’est tout autant dans le jeu qui s’étale sur 4 à 5 heures.



Cachez cette lumière que je ne saurais voir
Les dioramas proposés s’apparentent à des escape games, le but étant de résoudre des énigmes environnementales afin d’atteindre la sortie symbolisée par un cercle de lucioles. Il faut trouver comment avancer, c’est-à-dire quel chemin emprunter et parfois débusquer la clé qui permettra d’ouvrir le cadenas qui bloque une porte. La difficulté pour Gloomy est que les zombies craignent la lumière. Aussi ne peut-il pas traverser les zones éclairées. Il faut qu’il parvienne tout d’abord à éteindre la lumière ou à la détourner en jetant dessus des os ou des briques. Mais Nena va pouvoir aussi l’aider. Le titre se présente en effet comme un jeu de coopération en solo puisque l’on joue tour à tour Gloomy et Nena, avec la possibilité d’alterner entre les deux. Et ceci se révèle vite indispensable, chacun étant nécessaire pour libérer le passage à l’autre. Gloomy craint la lumière, et ne peut pas sauter, alors que ce n’est pas un problème pour Nena qui peut même escalader.
Par contre, contrairement à Gloomy, elle ne peut pas s’approcher des zombies qui la croqueraient (à moins de les éclairer pour les rendre inoffensifs), et elle n’est pas assez forte pour lancer, déplacer ou porter des objets lourds. C’est donc en combinant leurs aptitudes que nos deux larrons vont pouvoir traverser les niveaux. Pour cela, il va parfois falloir faire de nombreux allers-retours et bien fouiller de partout pour trouver les objets nécessaires pour débloquer la suite, ou encore des souvenirs qui font office de collectiblesObjet d'inventaire devant être collectionné. facultatifs, ainsi que rencontrer le fossoyeur, présent dans chaque diorama. Le level design est très bien pensé pour mettre à contribution nos deux héros. Ce n’est généralement pas trop compliqué, mais certaines énigmes sont tout de même un peu plus corsées. Cela reste toutefois, comme il se décrit lui-même, un jeu cozy horror destiné à tout public.
Un charme macabre
Au-delà de la lumière et des zombies un peu idiots qui mettent une petite touche d’humour dans cet univers où règne le spleen, il faut aussi se méfier du Prêtre et de ses sbires avec qui on joue au jeu du chat et de la souris, en observant bien leur routine. Le jeu propose aussi quelques séquences d’action en arène, sous forme de combat, lorsque Gloomy a une crise de rage. C’est assez basique, mais cela apporte une petite touche d’originalité dans le gameplayOu « jouabilité » en français, fait référence à la façon dont le joueur interagit avec un jeu vidéo. qui s’avère assez plaisant à défaut d’être marquant. On peut reprocher à la caméra, qui se positionne toute seule afin de créer de jolis plans, de ne pas toujours faciliter la lisibilité du terrain. Il y a bien une très belle vue d’ensemble rotative du diorama sur laquelle on peut switcher pour mieux visualiser la scène, mais il faut revenir en vue normale pour se déplacer. Et là, même avec un contrôleur, cela est parfois délicat, et il peut arriver de coincer son personnage. Rien de dramatique toutefois.
L’ambiance lugubre du soft nous aide néanmoins à pardonner ces petits écueils, notamment grâce à l’omniprésence du fossoyeur qui conte l’histoire. Point de Tahar Rahim, par contre, ici, puisque seule une version originale sous-titrée est proposée avec la voix, non pas de Colin Farrell, comme dans le court-métrage, mais celle de l’acteur et chanteur irlandais Eric Nolan, qui remplit parfaitement son rôle en étant à la fais sombre et paisible. À cela se rajoute une direction artistique soignée et une bande-son tout à fait dans le ton. On reconnaît bien entendu, pour notre plus grand plaisir, l’inspiration macabre et poétique de Tim Burton (Edward aux mains d’argent, Beetlejuice, Alice aux pays des merveilles, Mercredi…), mais aussi des animations image par image de Henry Selick (L’étrange Noël de Monsieur Jack, James et la pêche géante, Coraline, Wendell & Wild…). Et, comme dans le court-métrage, cela fonctionne à merveille.

